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medicaments

Une approche de la désinscription pharmaceutique chez les seniors

Publié le par Louis Lacaze

Image issue de https://www.medisite.fr/a-la-une-5-medicaments-retires-de-la-vente-libre-en-pharmacie.960084.2035.html

Image issue de https://www.medisite.fr/a-la-une-5-medicaments-retires-de-la-vente-libre-en-pharmacie.960084.2035.html

La désinscription est un processus intentionnel qui vise la diminution ou l’arrêt d’un médicament qui peut avoir un effet nocif sur la santé du patient, s’accompagner d’effets négatifs ne justifiant pas son utilisation. Si la recherche a beaucoup travaillé sur l’efficacité des médicaments et les conditions de leur emploi, on dispose de beaucoup moins d’éléments portant sur la durée d’un traitement et ses effets secondaires.  Or il est bien connu en gériatrie que les seniors accumulent des médicaments au fil des ans, que la prise de certains cesse d’être justifiée, qu’ils peuvent avoir des effets adverses et que la gestion de l’ensemble de la prescription devient impossible. D’où la nécessité d’avoir recours à la désinscription.

Cette approche ne coule pas de source pour diverses raisons. Elle suppose un changement de culture où le renouvellement des ordonnances est habituel ; il peut couvrir une longue période sans être remis en question. Quand un médecin propose un médicament, il peut évoquer l’attitude d’un commerçant qui fait l’article à un client, insiste sur leurs avantages et passe sous silence ou minimise leurs inconvénients. Une approche différente est proposée : informer le patient du danger de risques secondaires, souligner que les inconvénients sont plus importants que les avantages, proposer une coopération patient-médecin dans la recherche d’une diminution des doses sont généralement bien perçus. Déclarer au patient que le médicament ne lui apporte rien est un coup d’épée dans l’eau tout comme lui  montrer qu’on lui simplifierait  la vie en supprimant la prise de ce médicament. Des phrases à utiliser ou à éviter sont suggérées1 après avoir été testées à grande échelle : «  Vous n’allez peut-être pas prendre ce médicament toute votre vie. On va faire un essai et on verra ». « Les symptômes que vous décrivez peuvent-être dus à tel médicament ». Il est bien précisé que cette classification n’a rien de rigide et doit être adaptée à la personnalité de chacun.

Les établissements d’accueil de séniors ont constitué un terrain d’expérimentation inattendu pendant la crise de la covid-19. Le personnel en nombre réduit et surchargé de travail a dû faire des coupes dans les médicaments habituellement prescrits. Dans une étude[1], au total 3247 résidents détenaient 5297 médicaments non essentiels. Les multivitamines étaient les plus susceptibles d'être interrompues, suivies des antagonistes des récepteurs de l'histamine-2[2], des antihistaminiques et des statines. À la fin de la politique de pénurie, 2 897 médicaments  sur 5 297 (54 %) ont été définitivement arrêtés, y compris les probiotiques (73 %), les antagonistes des récepteurs de l'histamine-2 (66 %), les antihistaminiques (64 %) et les statines (45 %). Les caractéristiques démographiques, les troubles cognitifs et fonctionnels étaient similaires entre les résidents dont les médicaments avaient été interrompus et ceux qui avaient continué. Pour la plupart des médicaments, plus de 50 % de l'écart quant à l'arrêt des médicaments s'expliquait par des facteurs liés à l'établissement plutôt qu'au résident.

Les invités de Geripal ne prétendent pas changer les mentalités à court terme mais aimeraient voir une prescription des médicaments moins automatique accompagnée d’une observation sur leur prise éventuellement temporaire dans le cas d’une pathologie chronique. 

D’un coup de baguette magique, le Dr Ariel Green aimerait faire disparaitre l’impression qu’il existe une pilule pour chaque maladie et la remplacer par la certitude qu’un médicament peut être accompagné d’effets secondaires qu’il est préférable d’éviter.

Commentaires de Bernard Pradines. Voici un thème que nous avons déjà abordé ici mais qui mérite redites et insistance. Le temps passé à déprescrire devrait être, pour être schématique, au moins égal à celui de la prescription. En effet deux attitudes extrêmes peuvent s’offrir à nous. Soit l’absence de révision de l’ordonnance par manque de temps et confiance excessive dans le patient. Soit la déprescription massive irréfléchie que j’ai pu observer par exemple à l’entrée en établissement de soins : un « nettoyage » vécu comme un blanchissage. Ici, le temps est nécessaire. De plus la participation des pharmaciens s'est avérée profitable lorsqu’elle a été entreprise. Encore faut-il une coopération féconde entre professionnels.

Sources :

Dr Liz Bayliss professeur de médecine familiale, Dr Ariel Green professeur de médecine, gériatre, Kevin McConeghy spécialisé en pharmacie clinique invités de Geripal animé par Alex Smith MD et Eric Widera MD

Articles publiés par les invités de Geripal cités dans l’entretien :

1  Ariel R. Green, MD, MPH, PhD et al Assessment of Patient-Preferred Language to Achieve Goal-Aligned Deprescribing in Older Adults

2  Elizabeth A. Bayliss, MD, MSPH et al Deprescribing Education vs Usual Care for Patients With Cognitive Impairment and Primary Care Clinicians


[1] McConeghy KW, Cinque M, White EM, Feifer RA, Blackman C, Mor V, Gravenstein S, Zullo AR. Lessons for deprescribing from a nonessential medication hold policy in US nursing homes. J Am Geriatr Soc. 2022 Feb;70(2):429-438.

[2] Médicaments tels que la cimétidine désormais peu utilisée en France.

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Le plus ancien appareil médical du médecin

Publié le par Louis Lacaze

Le plus ancien appareil médical du médecin

Elvin Geng, chef d’une clinique de virologie spécialisée dans le sida comptait dans sa patientèle un homme qui refusait de recevoir un traitement contre le VIH. Pour ce malade, ceci était inutile dans le meilleur des cas et au pire toxique.

Le patient pouvait citer des études de virologues défendant leur thèse et discrédités par la suite, des publications affirmant que le VIH avait été créé par la CIA et affirmer que la science était au service des grands laboratoires pharmaceutiques.

Geng comprit qu’avec sa formation professionnelle il pouvait juger de la rigueur d’une argumentation scientifique mais que ce n’était pas le cas de l’ensemble de la population. Il modifia la logique de son argumentation.

Il rendit visite à son patient placé dans un hospice, structure médicale américaine qui accueille les malades n’ayant plus que quelques mois d’espérance de vie et lui demanda s’il tenait à rester là et à mourir.  Il lui déclara : « Je sais que vous avez été témoin de bien des erreurs et d’affirmations fausses, je comprends votre point de vue, mais je vous certifie que j’ai soigné beaucoup de patients aussi mal en point que vous qui maintenant se portent bien depuis des années. Vous pouvez me croire. » Comme le patient restait silencieux le médecin a poussé son avantage : « Acceptez-vous de commencer le traitement ? » Il fut stupéfait de l’entendre répondre positivement. Geng prescrivit une première dose de médicament puis observa le patient en train de l’avaler. Le traitement fut poursuivi avec succès jusqu’à obtenir une charge virale indétectable.

Cette défiance envers l’efficacité de la médecine allopathique est loin d’être nouvelle. Les médecins surestiment l’efficacité du raisonnement, de la logique, de l’exposé de faits, de la validité des résultats d’études bien conduites. Ils s’attendent à voir le public réagir de façon rationnelle alors que celui-ci n’est convaincu que par les gens en qui il a confiance, crédit qui relève davantage de l’émotionnel que du rationnel. Les médecins référents ont une carte à jouer, ce sont eux qui connaissent le mieux les préférences, les particularités, les espoirs et les craintes de leurs patients. C’est en ajoutant un nouveau maillon à la chaine de confiance patient-médecin qu’on peut espérer vaincre le déni, plaie du tissu social.

Commentaires de Bernard Pradines :

La crise pandémique récente et actuelle nous offre un merveilleux observatoire du phénomène décrit ci-dessus. La peur collective et individuelle de la maladie et de la mort a généré toutes sortes de croyances et de réactions qui sont les symptômes du niveau de connaissance d’une société à un moment donné de son évolution. Mieux, la complexité des problèmes posés ouvre la voie à des appréciations alternatives qui sont les bienvenues face à l’échec temporaire et partiel de la médecine scientifique. Qui connait un peu le monde de la recherche et de la médecine sait les défis posés à la « médecine fondée sur la preuve », surtout en situation d’urgence. Qui n’a pas côtoyé le monde de la médecine ne soupçonne pas les luttes d’influence et les concurrences pour s’attribuer les mérites de telle ou telle découverte plus ou moins confirmée, fût-elle seulement conceptuelle. Les ravages de l’économie de marché incontrôlée ouvrent quant à elles la voie à toutes les croyances quant à la toxicité de la « main invisible » ici représentée surtout par Big Pharma. La médecine n’est pas isolée, pure, neutre et idéale. Elle est traversée par son époque, pour le meilleur et pour le pire.

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