Une approche de la désinscription pharmaceutique chez les seniors
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La désinscription est un processus intentionnel qui vise la diminution ou l’arrêt d’un médicament qui peut avoir un effet nocif sur la santé du patient, s’accompagner d’effets négatifs ne justifiant pas son utilisation. Si la recherche a beaucoup travaillé sur l’efficacité des médicaments et les conditions de leur emploi, on dispose de beaucoup moins d’éléments portant sur la durée d’un traitement et ses effets secondaires. Or il est bien connu en gériatrie que les seniors accumulent des médicaments au fil des ans, que la prise de certains cesse d’être justifiée, qu’ils peuvent avoir des effets adverses et que la gestion de l’ensemble de la prescription devient impossible. D’où la nécessité d’avoir recours à la désinscription.
Cette approche ne coule pas de source pour diverses raisons. Elle suppose un changement de culture où le renouvellement des ordonnances est habituel ; il peut couvrir une longue période sans être remis en question. Quand un médecin propose un médicament, il peut évoquer l’attitude d’un commerçant qui fait l’article à un client, insiste sur leurs avantages et passe sous silence ou minimise leurs inconvénients. Une approche différente est proposée : informer le patient du danger de risques secondaires, souligner que les inconvénients sont plus importants que les avantages, proposer une coopération patient-médecin dans la recherche d’une diminution des doses sont généralement bien perçus. Déclarer au patient que le médicament ne lui apporte rien est un coup d’épée dans l’eau tout comme lui montrer qu’on lui simplifierait la vie en supprimant la prise de ce médicament. Des phrases à utiliser ou à éviter sont suggérées1 après avoir été testées à grande échelle : « Vous n’allez peut-être pas prendre ce médicament toute votre vie. On va faire un essai et on verra ». « Les symptômes que vous décrivez peuvent-être dus à tel médicament ». Il est bien précisé que cette classification n’a rien de rigide et doit être adaptée à la personnalité de chacun.
Les établissements d’accueil de séniors ont constitué un terrain d’expérimentation inattendu pendant la crise de la covid-19. Le personnel en nombre réduit et surchargé de travail a dû faire des coupes dans les médicaments habituellement prescrits. Dans une étude[1], au total 3247 résidents détenaient 5297 médicaments non essentiels. Les multivitamines étaient les plus susceptibles d'être interrompues, suivies des antagonistes des récepteurs de l'histamine-2[2], des antihistaminiques et des statines. À la fin de la politique de pénurie, 2 897 médicaments sur 5 297 (54 %) ont été définitivement arrêtés, y compris les probiotiques (73 %), les antagonistes des récepteurs de l'histamine-2 (66 %), les antihistaminiques (64 %) et les statines (45 %). Les caractéristiques démographiques, les troubles cognitifs et fonctionnels étaient similaires entre les résidents dont les médicaments avaient été interrompus et ceux qui avaient continué. Pour la plupart des médicaments, plus de 50 % de l'écart quant à l'arrêt des médicaments s'expliquait par des facteurs liés à l'établissement plutôt qu'au résident.
Les invités de Geripal ne prétendent pas changer les mentalités à court terme mais aimeraient voir une prescription des médicaments moins automatique accompagnée d’une observation sur leur prise éventuellement temporaire dans le cas d’une pathologie chronique.
D’un coup de baguette magique, le Dr Ariel Green aimerait faire disparaitre l’impression qu’il existe une pilule pour chaque maladie et la remplacer par la certitude qu’un médicament peut être accompagné d’effets secondaires qu’il est préférable d’éviter.
Commentaires de Bernard Pradines. Voici un thème que nous avons déjà abordé ici mais qui mérite redites et insistance. Le temps passé à déprescrire devrait être, pour être schématique, au moins égal à celui de la prescription. En effet deux attitudes extrêmes peuvent s’offrir à nous. Soit l’absence de révision de l’ordonnance par manque de temps et confiance excessive dans le patient. Soit la déprescription massive irréfléchie que j’ai pu observer par exemple à l’entrée en établissement de soins : un « nettoyage » vécu comme un blanchissage. Ici, le temps est nécessaire. De plus la participation des pharmaciens s'est avérée profitable lorsqu’elle a été entreprise. Encore faut-il une coopération féconde entre professionnels.
Sources :
Dr Liz Bayliss professeur de médecine familiale, Dr Ariel Green professeur de médecine, gériatre, Kevin McConeghy spécialisé en pharmacie clinique invités de Geripal animé par Alex Smith MD et Eric Widera MD
Articles publiés par les invités de Geripal cités dans l’entretien :
1 Ariel R. Green, MD, MPH, PhD et al Assessment of Patient-Preferred Language to Achieve Goal-Aligned Deprescribing in Older Adults
2 Elizabeth A. Bayliss, MD, MSPH et al Deprescribing Education vs Usual Care for Patients With Cognitive Impairment and Primary Care Clinicians