Le personnel médical à l’abri de la covid-19 peut culpabiliser
Certaines catégories de personnel peuvent côtoyer des collègues qui se trouvent en première ligne dans la lutte contre la covid-19, ne jamais entrer en contact direct avec un patient, et souffrir d’un complexe de culpabilité comparable au complexe du survivant qui a échappé à la tragédie d’une catastrophe responsable de nombreuses victimes.
Ce sentiment de culpabilité qui ne repose sur aucune base rationnelle a pu être qualifié de « dépense émotionnelle inutile ». Il entraine une souffrance de la personne qui peut aller jusqu’à handicaper sa vie privée aussi bien que professionnelle.
Comment réagir ? D’abord en reconnaissant qu’une pareille réaction est logique, qu’il est bon d’aborder le sujet avec des collègues qui eux aussi peuvent avoir le sentiment de ne pas être suffisamment efficaces, de ne pas avoir pris la meilleure décision. Cela permet de rétablir le sentiment d’appartenir à un groupe. Apporter sa contribution sur le plan administratif, contacter les familles peut aussi s’envisager mais souvent rester à l’écart du personnel en première ligne correspond à la solution la plus constructive. Pourquoi ne pas canaliser son énergie en passant en revue les points faibles de notre société responsables de décès évitables et de militer pour rechercher des solutions ?
Commentaires de Bernard Pradines. La situation évoquée ci-dessus par David B. Reuben est extrapolable en France. L’auteur rappelle que la culpabilité n’épargne pas celles et ceux qui sont "en première ligne car confrontés à l’incertitude d’avoir bien fait tout ce qui est en leur pouvoir". Je partage son appréciation sur un aspect inconnu et insoupçonné dans notre pays : l’engagement sans réserve des professionnels de santé dans leur immense majorité, fut-ce au péril de leur vie. J’ai pu apprécier cette dimension lors de missions médicales humanitaires au Liban et en Afrique. Souvent obnubilés par l’individualisme réputé dominant, nous ne savons pas ou ne voulons pas voir la médaille à son envers : celui du dévouement qui peut devenir sacrificiel. Tout à fait d’accord pour y voir la culpabilité qui entraine le déni : un sentiment de faute de celui qui ne peut pas ou ne veut pas s’engager suffisamment vis-à-vis de ceux qui vont « au front ». Ces sentiments sont à mon sens générateurs d’une relativisation de l’efficacité de l’action humanitaire. Sauf que pour la covid-19, la réalité est immédiatement présente, menaçante, sous nos yeux, à notre porte. Impossible de la nier ou de la minimiser. Bien vu Dr David B. Reuben !
David B. Reuben, MD JAMA Sideline Guilt
https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2768889
Et des liens vers des commentaires :
Calvin S. Bruce, MD What to Do With Sideline Guilt
David B. Reuben, MD What to Do With Sideline Guilt—Reply avec réponse de Bernard Pradines