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alimentation

Mémoires d’un infirmier : les repas

Publié le par René Manteau

Avertissement de Bernard Pradines : les souvenirs ici relatés évoquent une époque allant de 1968 à 2009. Ils sont retracés sans fard, sans concession. Un terrible constat en comparaison d’un accompagnement de qualité. Il évoque crûment la détresse des aidants professionnels. Esprits sensibles, s’abstenir. Ne pas mettre ce texte entre les mains des enfants avant de l’avoir lu.

 

L’installation pour le repas requiert une grande rigueur. Le résident doit être placé le plus confortablement possible, très proche de la table et surtout à la bonne hauteur avec tous les couverts et le verre à portée de main. Toute posture qui s'avère douloureuse aura pour conséquence le désir que le repas se termine rapidement, même si le convive n’est pas complètement rassasié. Il préférera se priver de manger que supporter un inconfort supplémentaire.

Parmi les arguties et la survenue de l’impensable :

  • Les sanctions punitives : « si vous ne mangez pas, vous n'aurez pas droit au dessert ! » ou bien : « mangez le légume et la viande et vous aurez droit au dessert ! » Comme si le plateau-repas incluant le dessert n'était pas compris dans le prix de journée.
  • L'infantilisation accompagnée de chantage affectif : « si vous ne mangez pas, vos enfants ou vos parents ne viendront plus vous voir !»
  • Les menaces : « vous ne voulez pas manger, je vais le dire au docteur ou à l’infirmière. Elle va venir vous faire une piqûre. »
  • Le mélange de tous les aliments, sucrés et salés, sans oublier d'introduire les médicaments réduits en poudre. Je me suis permis de goûter ; cela se passe allègrement de commentaire.
  • La présentation d'aliments trop chauds, parfois oubliés dans le four, ou au contraire trop froids ou même glacés car le temps manque pour les réchauffer au four à micro-ondes.
  • La suppression des aliments dont l’ingestion est difficile ou demande trop de temps.
  • La persuasion “sournoise” pour aller plus vite : « vous voyez que vous n’avez plus faim, n’insistez pas, vous allez vous faire vomir, d'ailleurs cela ne rentrera pas. Vous n’avez plus la place. De toute façon, vous avez toujours eu les yeux plus gros que le ventre, ça va vous rendre malade et ce sera bien fait pour vous ». Comme si le soignant pouvait à coup sûr juger de la satiété de la personne dont il s’occupe.
  • L’absence ou le refus volontaire de présentation et de description des aliments aux patients déficients visuels ou atteints de cécité. Les mets peuvent aussi être décrétés inutiles par l’aidant.
  • La culpabilisation par rapport aux autres personnes présentes dans le réfectoire : « dépêchez-vous, vous êtes une fois de plus la dernière à achever votre repas et vous voyez que les autres ont terminé avant vous.»
  • Les réflexions narquoises humiliantes sont saupoudrées d’agressivité et bien ciblées pour les retardataires : “Monsieur ou Madame n’a toujours pas fini de se restaurer bien sûr, comme d’habitude”, alors que la personne, bien qu’elle soit lente, s’applique fièrement à entretenir le peu d’autonomie qui lui reste. Ne devrait-elle pas être félicitée et encouragée ? Cette attitude répétitive de harcèlement quotidien a des conséquences. Pour ne pas être désigné(e) comme “ lanterne rouge” du service, le mis (la mise) en cause, agacé(e) voire perturbé(e), est contraint(e) de se lever de table même si son repas n’est pas achevé, pour faire cesser les brimades. Cette attitude peut être la passerelle vers la dénutrition par le biais d’une anorexie induite. Nous devons être vigilants ; il y a des paroles ou des attitudes qui indirectement blessent et portent atteinte à la vie des personnes dont nous avons la responsabilité et le devoir de nous occuper, puisque nous sommes rémunérés pour cela.
  • La mise en situation de gêne voire de honte : « tenez-vous bien à table, restez tranquille !». « Décidément, je suis obligé de ne pas vous laisser faire seule car vous mangez comme un porc et en plus vous en mettez partout !» Le principal n’est-il pas au contraire d’encourager l’individu afin de lui conserver un maximum d’autonomie ?
  • La perte de patience : « j’en ai marre, elle a fait exprès de tout renverser !», « voilà, votre repas est terminé, de toute façon vous êtes complètement fou ou folle, allez vous faire voir ailleurs ! »
  • La tentative d’autorité : « restez à table, mangez, ne vous promenez pas. Suite à l’échec de cette injonction : « elle n’écoute rien, je ne peux rien en tirer. De toute façon, elle fait exprès de nous faire chier » ; ce qui ne peut qu’aggraver la démotivation du patient et du soignant, voire favoriser le passage à l’acte violent.

Certains patients classés “instables” ne tiennent pas en place. Ils n’ont aucune notion du temps, a fortiori de l’heure et du repas lui-même et de l’importance de se nourrir. Ils déambulent et perturbent les autres résidents et le fonctionnement de cette partie de journée, ce qui contrarie et irrite le personnel. Alors qu’ils sont à même de s’alimenter sans aide, ils ont à peine entamé leur repas que le service est quasi-achevé. Le soignant, pour rattraper le retard, tout en le maintenant sur son siège, est obligé de “l’embucquer” avant qu’il ne reprenne son cycle de déambulation. Ces patients doivent être placés au plus près des intervenants, la solution idéale est de les restaurer à part avec une légère anticipation pour les servir en premier ou avant les autres, supprimant ainsi tout dérapage.

 

La perte d’identité du patient : pour nommer un résident, l’utilisation de « Monsieur » ou « Madame » disparaît rapidement. On s’adresse à eux par leur nom seul ou leur prénom ou bien par un terme que l’on pense affectif tel que Papy ou Mamie comme si nous étions de leur famille. Le naturel prenant le dessus pour désigner une personne, le qualificatif se fait descriptif : c’est la personne aux cheveux blancs recroquevillée sur son siège… Si le client réside en chambre à deux lits cela devient plus flagrant ; chambre numéro x, côté porte ou côté fenêtre. Le résident tombe totalement dans l’anonymat. La perte de mémoire y contribuant, le fait de le traiter ainsi accélère le processus de non-reconnaissance de soi. Son état-civil est ignoré. Le manque de respect, d’éducation, de professionnalisme, les insuffisances de formation, les impératifs de fonctionnement, de rentabilité et l'absence de contrôles font que nos aînés dont nous avons la charge et pour qui nous sommes rémunérés  glissent de façon certaine et irrémédiable vers une totale déshumanisation, ce qui est inacceptable au XXI ème siècle.

 

Le matériel de facilitation, tel que les mixer et les masticateurs, est abandonné pour aller plus vite.

Livoo Blender chez La Redoute

Livoo Blender chez La Redoute

Masticateur pour viande en inox chez TousErgo

Masticateur pour viande en inox chez TousErgo

L’utilisation de couverts inadaptés.

Il existe pourtant des couverts ergonomiques afin de permettre l’autonomie des personnes en difficulté.

Exemple de couverts ergonomique chez Agelyance

Exemple de couverts ergonomique chez Agelyance

 Ils peuvent être à gros manche pour une meilleure préemption. Certains sont déformables, malheureusement non fournis par l'établissement car trop onéreux. Le plus souvent, ils sont inconnus du personnel et des familles. Ils demeurent à la charge des proches. Nous savons que beaucoup de personnes sont édentées ; elles ne peuvent pas correctement ouvrir la bouche et ont des difficultés pour déglutir correctement. L'emploi d’une cuillère à soupe et d’une fourchette est courant alors qu'il conviendrait d'utiliser une cuillère à café ou à moka. J'ai même vu utiliser des couverts en plastique, le consommable annulant le travail de lavage et de rangement de la vaisselle.

 

L’ingestion des repas sans boisson ; souvent, une personne ne boit pas car elle ne ressent pas la soif, parce que le breuvage n'est pas à son goût ou qu’elle ne bénéficie pas d’un matériel ergonomique adapté. Cela peut être induit par la peur de l’échec et la honte car la personne va souiller ses vêtements, affichant aux yeux de tous sa maladresse, immanquablement accompagnée par les réflexions d’un personnel excédé dont le travail aura été réduit à néant, le fautif devant le plus souvent rester au contact de ses vêtements trempés. A la place d’une simple serviette, un grand bavoir étanche peut être utilisé pour une meilleure protection des vêtements, ce qui constituera un progrès indéniable. Cependant, pour en augmenter l'efficacité, le maladroit peut être “emmitouflé” dans une grande alèse ou même dans un drap de lit. Cette méthode a l’avantage de bien désigner, de "mettre à l’honneur", d'attirer la honte, les quolibets, les critiques des autres convives sur le malheureux coupable forcé d’utiliser l’accoutrement dont il est affublé.

 

La dignité du patient ne manque pas d’être écornée une fois de plus au passage. Le personnel peut utiliser des d’astuces. Exemple : des très longues pailles de trente à quarante centimètres ; comme il ne fait pas partie du listing ergonomique de l’établissement, ce matériel doit être acheté par les familles ou par une association, même si son utilité et son côté pratique sont incontestables. Il en va ainsi des gobelets légers et parfois jetables qui sont difficiles à tenir en main car trop souples. Les récipients en plastique plus sécurisants sont souvent inadaptés aux petites mains et aux mouvements involontaires des patients car ils ne possèdent ni anse ni couvercle obturateur avec bec de succion pour une préemption plus aisée, comme ceux des enfants en bas âge.

 Exemple de gobelets ergonomiques, respectivement chez PLAmédical et Tousergo
 Exemple de gobelets ergonomiques, respectivement chez PLAmédical et Tousergo

Exemple de gobelets ergonomiques, respectivement chez PLAmédical et Tousergo

Trop peu gobelets avec encoche nasale sont utilisés pour les patients atteints de maladies neurologiques, pourtant disponibles.

Exemple de gobelet avec encoche nasale chez Bastide

Exemple de gobelet avec encoche nasale chez Bastide

Ils peuvent pourtant être fournis par l’établissement mais ne sont pas ou peu utilisés par manque de connaissances, de formation et d’information du personnel. Utiles pour prévenir les fausses routes, ils aident à la conservation de l’autonomie ; ils demandent un certain apprentissage. Difficile toutefois de se résoudre à en enseigner la manipulation faute de temps et du fait de l’utilisation simplifiée de boissons avec du gélifiant. Telle autre ne pense pas à boire, n'en n'a même pas l'idée si elle n'est pas sollicitée.

 

Dans beaucoup de pathologies évolutives, des difficultés de déglutition surviennent. Certains patients ne savent plus comment s’y prendre pour avaler leur repas. D’autres n'en ont plus la force. Dans de telles circonstances, si la personne est obligée d’absorber une trop grosse bouchée, sa maîtrise de la mastication et de la déglutition est compromise au point de provoquer un accident souvent irrémédiable. Toujours la faute à pas de chance ou au patient ! De toute façon, qu'on le reconnaisse ou non, notre geste a pu être létal.

 

Certes, cette description vaut à un endroit et en un temps donnés. Toutefois, comme nous venons de l’envisager, l’amélioration des conditions d’alimentation des personnes âgées en établissements passera inévitablement par l’augmentation des ratios de personnels et par leur formation (technique, psychologique, au respect). L’intensification des contrôles est indispensable. A moins qu’une révolution mentale collective ne se produise dans l’implication massive du bénévolat, ce qui ne semble pas se dessiner en France.

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Evolution de l’alimentation dans un établissement

Publié le par René Manteau

Image issue du site suivant : https://www.hospital-magazine.fr/905/la-3eme-journee-nationale-de-lalimentation-a-lhopital-en-ehpad-et-en-maisons-de-retraite/

Image issue du site suivant : https://www.hospital-magazine.fr/905/la-3eme-journee-nationale-de-lalimentation-a-lhopital-en-ehpad-et-en-maisons-de-retraite/


En 1968, à mon arrivée dans l'établissement de soins, les soupes et potages sont élaborés avec des légumes frais, du vermicelle, du tapioca ainsi que du pot-au-feu longuement mijoté. Les repas sont préparés avec des ingrédients de qualité supérieure. Pendant les fêtes, des mets nobles sont servis.

 

Les viandes les plus sensibles à la cuisson, telles que les filets, les entrecôtes et certains poissons, sont cuisinées dans un point chaud intermédiaire au tout dernier moment, par le personnel affecté à la distribution et à la plonge qui était présent dans le service à cette époque. Le tout se trouve en quantité, permettant au personnel de servir un supplément éventuel. Le conditionnement est réalisé dans de très grands plats. Les résidents sont servis à l'assiette. Un menu type est constitué au déjeuner de potage, hors-d’œuvre, plat de résistance, fromage ou laitage fait maison, fruit, vin, café. Au dîner la salade remplace le hors-d’œuvre et la tisane prend la place du café.

 

Quelques années plus tard, toute la réalisation s'effectue dans la cuisine centrale avec une nette diminution de la qualité et de la quantité. La viande est dure, le poisson est de deuxième choix ainsi que le poulet. Les œufs sont présents plusieurs fois par semaine sous toutes leurs formes. Pour des raisons de sécurité et d’hygiène alimentaire, en particulier le risque de salmonellose, leur cuisson au plat ou à la coque est prohibée. Ne demeure possible que leur préparation en omelette fournie en bidons stérilisés ou leur cuisson industrielle jusqu’à l’œuf dur, sous vide ou congelés, toujours servis dans des plats communs. Les conserves commencent à prendre la place des légumes frais et sont le plus souvent déjà cuisinés en usine. Les entrées et les laitages “maison” se raréfient, les fruits frais sont souvent remplacés par des fruits cuits et des compotes. Plus tard, les repas sont présentés en assiette individuelle en porcelaine puis en plastique et réchauffés dans le service à l’aide de fours mobiles très fonctionnels lorsqu’ils étaient réglés correctement et ne tombaient pas en panne ; ce qui n’avait rien d’exceptionnel. Comme si cela ne suffisait pas, les légumes deviennent d'horribles purées. Les viandes sont des roulés à base de chair hachée ou bien reconstituée, leur donnant une apparence de pâté pour animaux pour les personnes qui sont édentées, les autres tentant d’absorber leur pitance sans attrait. Toute différenciation d'aspect et de saveur est devenue impossible. Toujours le même goût ! Les potages que nos anciens apprécient beaucoup sont déshydratés et préparés dans le service avec une mise à disposition de quatre saveurs. Ils sont uniquement liquides ou semi liquide, tout dépendant du dosage, et sans texture responsables souvent de nombreuses fausses routes dues aux troubles de la déglutition. Pour ceux qui peuvent s’exprimer il peut y avoir un rajout de biscottes écrasées ou de pain morcelé.  Malheureusement, on a pu observer qu’ils n’étaient pas systématiquement servis surtout si le résident a des difficultés pour l’absorber. Toujours la même histoire de “timing” à moins que celui-ci puisse le réclamer en s’imposant. Tout dépend de la bonne volonté d’un personnel plus ou moins consciencieux. Quant aux desserts, ils ont suivi la même évolution et ne brillent pas par leur diversification. Ils n’en ont plus que le nom, composés très souvent de fromage blanc, yaourts, compotes et fruits au sirop industriel.

Dans un prochain texte, j’envisagerai les raisons de cette évolution.

 

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